Les canots de bois, attachés à leur ponton, dansaient au rythme des vagues en se percutant légèrement par moment, seul bruit alentour dans ce port presque désert. Le ciel était noir à cause des nuages qui l’obscurcissaient dans un mouvement sinistre frôlant le désespoir. C’était ce genre de temps, lourd et menaçant, qui donnaient à la plupart des personnes une humeur dépressive. Pourtant lorsque la pluie et l’orage menaçaient d’éclater dans un déluge démentiel, je me sentais bien, léger. Enfin, tout est relatif tout de même, parce que par « bien » je n’entends pas que je me sens joyeux ou prêt à rire et à sourire à tout bout de champ. Depuis combien de temps n’ait-ce pas arrivé d’ailleurs qu’un sourire fende mes lèvres ? Je ne me souviens pas. Je ne suis même pas sûr que ce soit déjà arrivé en fait... Je me sentais en ce moment-même simplement léger, moins suicidaire que les autres jours (quoique...), moins massacrant que d’accoutumée. En même temps j’étais, du moins à ce que je pouvais en voir en marchant au bord du quai, parfaitement seul, alors personne ne risquait de me déranger. Du moins je l’espérais.
C’était la première fois que je sortais du pensionnat que je venais tout juste d’intégrer aujourd'hui même. Aucune connaissance, rien, j’étais parfaitement invisible et tout cela m’allait parfaitement. Tout ce que je demandais était que l’on me laisse vivre cette put*** de vie tranquille, même si je n’en voulais pas. Je me demandais d’ailleurs pourquoi est-ce que j’essayais de me relever alors qu’au final rien ne m’intéressait ici-bas. Je n’avais aucun rêve, aucun goût pour la vie, aucune attache, aucune passion, rien... Enfin si, à part le piano, mais à quoi est-ce que cela pourrait bien me mener ?
Je poussais un long soupir, m’assoyant au sol, les pieds dans le vide frôlant la bordure de l’eau transparente mais noirâtre à cause du ciel qui s’y reflétait. Devant moi, quelques montagnes se dressaient à l’horizon, tandis qu’un faible rayon de lumière disparaissait derrière à présent que le soleil avait bien entamé sa chute.
Je sortis mon mp3 de ma poche, sans quitter ce paysage que je regardais fixement d’un air pensif. Je plaçais mes écouteurs dans mes oreilles, entendant alors la musique The islander de Nightwish battre dans mes tympans. Une mélodie idéale dans un tel endroit.
Je passais mes bras en arrière pour m’appuyer contre la paume de mes mains, sentant mes cheveux noirs comme l’ébène passer sous l’effet de la caresse de la brise sur mon visage d’un blanc presque porcelaine et aux traits fins.
Un son de porte qui se refermait à quelques mètres attira mon attention. Une vielle femme sortait de sa maison qui bordait le port, un sac à la main, et me lança un regard méprisant, typiquement un de ceux dont j’avais le droit depuis x années. Après tout, un jeune homme à l’aura aussi sombre que ses vêtements gothiques et aux quelques piercings n’inspire pas confiance. Mais je ne relevais pas son regard, moi qui d’ordinaire prenais plaisir à en retourner un bien appuyé, de toute ma haine intérieure que je n’avais jamais su contrôler. Sauf que je n’en avais rien à faire, je tournais à nouveau la tête vers la mer et observais, comme si j’attendais quelque chose. Mais quoi ? Je n’en avais pas la moindre idée. Peut-être un signe, un message... quelque chose qui me dirait de ne pas baisser les bras et de continuer à vivre malgré que j’avais toujours pensé depuis l’accident ne pas en avoir le droit. Pourquoi moi qui l’avais tué avait le droit de respirer et pas elle ? Pourquoi mon cœur devait-il continuer de battre alors qu’à cause de moi, de celui que j’étais et qui étais censé la protéger, le sien s’était arrêté ? Si j’avais pu remonter le temps je l’aurais fait, si j’avais pu faire quoi que ce soit pour la sauver je l’aurais fait. Et pourtant j’étais resté immobile tandis qu’elle s‘éteignait lentement...
Je fermais les yeux un bref instant en me mordant durement la lèvre, revoyant mentalement toutes les images défiler dans ma tête. J’entendais mon cœur battre dans mes oreilles, alors qu’une nausée me prenait. Jamais je ne pourrais me le pardonner, et c’était pour cela que j’en voulais à la terre entière. C’était parce que j’avais honte et que nul ne savait ce que je devais cacher. Le mystère ne devra jamais être levé, et pourquoi ? A cause de cette stupide renommée et ce rang social que je haïssais. Je voulais m’éteindre, rien de plus, alors qu’est-ce qui m’empêchait de me laisser glisser, de franchir de maudit et ridicule centimètre qui me séparait des eaux troubles qui pourraient mettre fin à cette existence inutile et douloureuse ? Rien... à part peut-être ces bruit de pas que j’entendais à présent et qui n’étaient plus loin...